Avec Alechinsky, il est inutile de tirer à l'avance des plans sur la comète. Le temps qui file, l'artiste entend bien ne lui laisser guère de prise. Dans son atelier de Bougival, devant la presse lithographique de Bramsen et Clot, ou pour la gravure chez RLD, il se donne une cure de jouvence avec chaque œuvre qu'il entreprend de créer, sans jamais savoir exactement où s'arrêtera l'expérimentation. Ni trop loin, mais ni trop près non plus.

Alors qu'il s'apprête à passer le cap des 95 ans, et une date-anniversaire qu'à chaque automne l'artiste s'efforce, pas dupe, de contrarier d'un sourire narquois, Alechinsky jette un œil derrière lui, tout en continuant d'avancer. Vers quoi, vers où ? Tout ce qui l'intéresse est le temps présent, le plaisir et l'exaltation de la recherche, de la découverte inattendue et sublimée, du geste de la main sur la toile ou sur la pierre lithographique et sur la plaque de cuivre. Les œuvres qu'il présente cet automne au Salon d'Art naviguent ainsi en toute liberté, sans trop se soucier d'une datation fétichiste.

"Dans l'art contemporain, il y a souvent beaucoup de temporaire", a-t-il pu dire. Et ses peintures et travaux d'imprimerie démontrent en effet l'inverse. Tout l'œuvre d'Alechinsky s'écrit dans un rapport à la durée, qui permet de laisser libre cours à l'imaginaire. Il émerge tout autant d'une période de rêverie que d'une lecture, d'une contemplation, ou d'un de ces "hasards objectifs" que, comme André Breton, Alechinsky a toujours laissé advenir : non pas comme point d'aboutissement, mais comme point de départ d'un travail qui trouve à un moment donné son accomplissement : ni trop loin, ni trop près.

Alain Delaunois